CHAPITRE XXIII
Le titre de ce chapitre est la définition qu’a donnée
d’Alexandrina, le provincial des
Missionnaires du Saint-Esprit.
Après tant de dons mystiques dont le Seigneur enrichit la
servante de Dieu, le lecteur se sera fait une idée d’une âme plus à admirer
qu’à imiter. Erreur de prospective !
C’est vrai qu’elle est arrivée à des hauteurs mystiques
exceptionnelles, mais uniquement parce qu’elle correspondit aux grâces
abondantes de Dieu et parce que le Seigneur l’avait destinée à une mission
singulière. La lueur céleste qu’elle dégage, ne trompe pas.
Alexandrina incarna les dons célestes et les irradia
autour d’elle. Comme les authentiques et grands mystiques chrétiens, elle ne
se renferma jamais sur elle-même. Car l’indifférence s’oppose radicalement à
la charité chrétienne : vertu fondamentale.
Le total don d’Alexandrina aux milliers de personnes qui
frappaient à sa porte, spécialement dans les dernières années de sa vie, et
qui recevaient son aide spirituelle et matérielle, au prix d’un continuel
renoncement, en sont la preuve éloquente.
Son sourire permanent, si accueillant et rassurant,
malgré les douleurs atroces, faisait de suite, penser au Cœur du Christ qui
se dilate à l’infini, qui embrasse tout, qui s’attendrit pour tout et
s’identifie en tout avec tous.
Alexandrina vibrait devant les besoins les plus
ordinaires de son prochain.
« Je veux pratiquer le bien. Je veux que tous mes
actes soient empreints de bonté et de douceur. Je ne supporte pas la pensée
que les pauvres soient affamés et n’aient pas de quoi se vêtir. La pensée
que mon prochain se trouve en butte à de graves angoisses, me tourmente. Mon
cœur, même si prisonnier, souffre, se meurt de ne pouvoir se transformer en
pain, en habits, en confort et joie pour tous ceux qui souffrent... O Jésus,
j’aime tout le monde et je veux les consoler à tous, par amour pour vous. »
Elle sentait que tout apostolat s’enracine chez les
nécessiteux si aliénés au secours matériel.
« Pauvres hommes et pauvres âmes si nous ne
nous préoccupions que du ciel ! Combien mourraient de faim et de froid !
Combien d’âmes tomberaient dans le désespoir”. Et se tournant vers son
Seigneur : “N’est-ce pas vous, Jésus, qui avez prêché et enseigné la
charité ?” »
Dans l’une de ses lettres, elle conseille :
« Aimons Jésus sans limitation et ensuite, aimons-nous
en Lui, et de son amour. Je vous aime beaucoup, je vous veux tout le bien
dans le Seigneur, mais d’un amour désintéressé : cet amour est motivé par la
place que Jésus vous a réservé dans mon cœur.
Quel péché de ne pas voir dans le prochain un autre
Christ, un autre moi-même, afin de ne pas nous indisposer avec tous, pour
tout et pour rien. Jésus n’est-Il pas mort pour tous ? »
Dans sa charité envers les nécessiteux, Alexandrina
ressemblait à la mère, au sujet de laquelle le curé témoigna plusieurs fois
:
« Quand cette dame mourra, elle laissera un grand vide
dans la paroisse. »
Elle imita sa mère et la dépassa même de loin, car elle
atteignait l’unique source de l’authentique amour : Dieu.
La jeune domestique
témoigna :
« Elle se serait mise en quatre pour les autres ; mais
elle faisait tout avec le désir de plaire au Seigneur. »
Souvenons-nous que déjà la petite Alexandrina “aimait
les anciens et les petits et se proposait pour les aider”.
Un pauvre frappe à la porte ? De suite elle courre
prévenir sa mère, qui le plus souvent lui répond lui avoir déjà fait
l’aumône. Mais elle insiste : “Donnez-lui au moins un peu de soupe. Il en
reste encore dans la marmite !”
Catéchiste de la paroisse, elle apprend qu’une fillette
est gravement malade. Immédiatement elle accourt. Elle reste auprès d’elle
pendant toute sa maladie, lui dispensant les tendresses même que sa mère,
très occupée et mortifiée de douleur, n’avait plus ni la force ni le courage
de lui prodiguer. Elle l’assiste jusqu’à la mort, et encore après, jusqu’à
la sépulture.
Deux sœurs très pauvres, accueillies chez elle, racontent
:
« Nous dormions dans la chambre contiguë à celle
d’Alexandrina. Dans la cloison qui séparait les deux chambres, il y avait
une petite fenêtre. Le chat venait souvent dormir sur notre lit et moi,
encore petite, j’en avais peur. Il me semble voir encore la main toute
blanche d’Alexandrina passant par la petite fenêtre afin de faire descendre
le chat, et j’entends encore sa voix douce me rassurer. Elle, ayant appris
que nos parents avaient perdu tous leurs biens, nous accueillit chez elle
et, avec son inépuisable charité nous pourvoyait de tout... très souvent,
elle nous appelait à côté de son lit afin de contrôler si notre goûter était
suffisant. »
L’institutrice, Maria Amélia Fangueiro
raconte :
« Avec ma collègue Sãozinha, j’allais, chaque année,
lui demander des prières pour les examens de nos élèves. Informée que l’un
ou l’autre d’entre eux n’était pas suffisamment préparé, Alexandrina nous
suppliait : “Présentez-les tous à l’examen, afin qu’aucun ne soit triste.
Ils pourront ainsi aider leurs familles. Je prierai ; tout ira bien ”.
Sa prédilection pour les enfants était évidente. Elle
les protégeait en les aidant avec des aliments et des habits. A l’occasion
d’excursions scolaires, elle payait le voyage aux plus pauvres, afin que
tous soient contents ! »
Trop souvent l’enfance est victime innocente de la
société égoïste et corrompue.
Alexandrina se souciait de les défendre et de les
préparer à la vie et à leurs études, à l’apprentissage d’un métier, à une
éducation solide.
Dans ses “fleurettes” de mai on peut lire :
« Je prierai et je souffrirai afin que l’on ne vole
pas l’innocente des tout-petits. »
À son deuxième directeur spirituel, elle écrivait :
« Le porteur de ce billet est Savério, l’enfant dont
je vous ai parlé il y a quelques jours. Ayez l'obligeance de m’envoyer le
numéro d’inscription et la liste du trousseau nécessaire. »
« Ce fut Alexandrina — témoigne une mère — qui
fit admettre ma fille, attardée, dans un collège de Lisbonne, dirigé par les
Filles de Marie Auxiliatrice. »
Ce ne sont que quelques exemples, parmi tant d’autres de
ses interventions auprès de divers instituts.
« Alexandrina — écrit Dom David Novais — avait
une charité sans limites. Plusieurs fois elle me recommanda des jeunes
filles de Balasar. Je suis venu moi même en chercher quelques-unes, âgées de
presque vingt ans, pour notre œuvre d’assistance aux jeunes en danger
moral. »
« Alexandrina — témoigna l’institutrice Maria
Alice — fut pour moi une mère, spirituellement et matériellement. J’étais
orpheline et elle me paya la pension du collège, le trousseau et les livres.
Si aujourd’hui je vis sans préoccupations, je le dois à elle, pour qui va
toute ma vénération et ma reconnaissance. »
Lors de l’enquête préparatoire du procès sur ses vertus
et réputation de sainteté, un cortège de personnes s’est présenté pour
raconter les grâces reçues par l’intercession de la servante de Dieu.
Combien ont donné leur témoignage avec émotion et les
yeux pleins de chaudes larmes.
Quelques échos de ce chœur harmonieux :
— “Pendant ma maladie et afin de pouvoir subvenir à
l’indispensable pour mes cinq enfants, Alexandrina m’a secouru plusieurs
fois.”
— “Elle se porta caution pour une somme que j’ai
empruntée pour l’achat d’une maison.”
— “Malade dans un hôpital, elle porta secours à ma
famille. Elle chargea sa sœur de me visiter plusieurs fois et m’envoya
souvent une aide financière”.
— “Nous sachant peu argentés, elle nous paya les frais
des exercices spirituels, deux ou trois fois. A l’occasion de Noël et
Pâques, elle nous envoyait le vin de la nativité”.
— “Elle me prêta de l’argent pour faire face à des
difficultés familiales et ne voulut pas d’intérêts. Elle offrit plusieurs
fois des habits pour mes enfants. Aux fêtes, elle m’offrait du pain et de la
viande. Ce fut Alexandrina qui trouva du travail pour mon mari, dans une
usine”.
— “Pendant que je me trouvais à hôpital, elle pourvut
à l’alimentation de mes enfants. Pendant ma convalescence, en attendant de
reprendre mon travail, elle m’aida financièrement”.
— “Intimée par le tribunal de déménager avec la
famille, Alexandrina se préoccupa de me trouver, gratuitement, un logement
chez l’une de ses amies. Ensuite elle organisa souscription pour recueillir
des fonds afin de construire une maison. Elle même, la première y déposa 500
escudos”.
— “J’ai neuf enfants et je suis devenue veuve assez
jeune encore. Elle est venue immédiatement à mon secours, me disant : « Ne
souffrez pas la faim ; quand vous aurez besoin, venez. Je vous donnerai
toujours le nécessaire !”
— “A Noël et à Pâque elle distribuait des habits,
chaussures et viande à tous les nécessiteux de la paroisse.”
— “Elle habillait les orphelins afin qu’ils ne sentent
le manque de leurs parents. Sur eux, depuis son lit de douleur, elle
déversait tant d’affection et de tendresse”.
— “Un jour — affirma une riche dame — j’ai
visité Alexandrina, comme je le faisais habituellement, chaque fois que
j’avais besoin de m’épancher et de recevoir du réconfort. J’étais découragée
parce que mon mari voulait construire une école et me refusait d’autres
choses indispensables. Alexandrina me dit, avec gravité : «Les écoles, c’est
l’affaire du gouvernement. Il serait bien mieux de construire des maisons
pour les pauvres ». « Mais comment convaincre mon mari ? » Aussitôt elle
répondit : « Confions cela au Seigneur ! » Quelques jours plus tard les
travaux de construction de l’école devaient commencer. D’une façon
inespérée, mon mari changea d’avis et me dit : « Je pense qu’il serait mieux
de réserver cette somme pour la construction de maisons pour les pauvres ».
Il fit construire un quartier où aujourd’hui habitent quelques dizaines de
familles. Les maisons terminées, j’ai dit à mon mari : « Tu ne penses tout
de même pas donner notre nom au quartier ? Le nom concerna Alexandrina. » Et
je lui ai expliqué le motif et lui, blême me répondit: « Fais comme tu veux
! »
Il est impossible de connaître toute la charité exercée
par Alexandrina. Elle ne révélait jamais les aumônes qu’elle distribuait,
avec l’argent reçu, aux pauvres et aux œuvres de bienfaisance.
José Nogueira nous confia :
« Ayant confiance en moi, elle m’avait choisi porteur
des aumônes à quelques pauvres, demeurant près de chez moi. En me confiant
les sommes, toujours sous enveloppe et cachetées, elle me disait : “Je sais
que N. N. vit avec difficulté ; porte-lui cet argent, mais je te recommande
d’en garder le secret”. »
C’était son style, afin de n’humilier personne. Elle
avait l’habitude de dire — comme un certain nombre en a témoigné — :
“rendez grâces à la Providence et personne d’autre ne le saura !”
« J’étais sûre de trouver en Alexandrina un cœur un
cœur semblable à celui de mon Dieu : elle faisait des prodiges de charité.”
C’est une noble déchue qui l’affirme. Et une institutrice affirme : “Elle
avait une âme grande jusqu’à l’invraisemblable !” »
Le fait que lors de sa mort, tous ces compatriotes, sans
exception, aient porté le deuil pendant un mois, est significatif. Dans les
champs on ne chanta plus. « La mère des pauvres est morte ! »
Le curé, en janvier 1956 publiait dans le journal de la
région :
« La joie de Noël n’est pas entrée dans beaucoup de
foyers de cette paroisse. L’hiver a laissé sans travail beaucoup de chefs de
famille et la disparition d’Alexandrina priva beaucoup de personnes de
vêtements et de denrées alimentaires pour lesquelles elle investissait
d’importantes sommes reçues de ses amis et admirateurs. »
La servante de Dieu a-t-elle eu des ennemis ? Oui, et pas
peu nombreux. Elle les
eût dans le pays, dans le cercle de la curie et de la
presse.
Dans son journal elle écrivit :
« J’aime ceux qui m’aiment ; j’aime les justes et les
pécheurs ; j’aime ceux qui me blessent parce que je vois en eux Jésus et je
les aime tous par amour de Jésus. »
Ce fut tout d’abord l’intrigue qui la priva de son
premier directeur spirituel. La nouvelle lui fut transmise par lui-même.
Alexandrina rappelle le fait :
« A six heures de l’après-midi on me remit le courrier
et j’ai remarqué tout de suite sa lettre [celle du Père Pinho]. Aussitôt que
je l’ai eue en main, mes bras semblèrent se briser et mon sang geler dans
les veines. Je n’avais pas la force de l’ouvrir. J’ai pensé : « Arrive ce
qui arrivera : en avant ! Mon Jésus, j’accepte tout par amour. » Dans mon
fond intérieur je me disais : « Je pardonne à tous ceux qui m’ont causé
cette mort ». C’est vrai que Deolinda m’avait donné, goutte à goutte, le
poison que la lettre contenait, mais, maintenant, la dernière goutte
distillait. Avec des larmes et ma prière je demandais à Jésus de pardonner à
tous : voilà ma vengeance. »
« Je me sens seule. Ils m’ont volé mon soutien sur la
terre. Pardonnez, Jésus, à celui qui est la cause de tout cela. Pour tous je
demande compassion ; je demande lumière pour leur cécité. »
Deux ans plus tard, hospitalisée pour le contrôle de son
jeûne et sa complète anurie, ce fut une infirmière incrédule qui la
maltraitait de façon cynique. Alexandrina commente :
« Ce fut un carnage pendant toute ma maladie. Elle ne
peut pas imaginer combien elle me fit souffrir. Que le Seigneur lui pardonne
!. »
Maria Teresa, amie de la servante de Dieu, lui dit un
jour :
« J’aurais tout accepté, mais à cette infirmière je
lui aurai bien dit deux petits mots ! »
Alexandrina rétorqua :
« Oh ! non. C’est alors que nous sentons vraiment le
Seigneur près de nous, quand nous pardonnons ! »
* * *
1 - Une jeune fille pauvre accueillie à
la maison, par charité.
2 - Journal du 23 février 1942. |