Chapitre 8
Jeûne total et pour toujours !
(1942-1955)
Premiers pressentiments
En 1942 elle commence le jeûne total, de solides et
liquides, qui durera jusqu’à sa mort !
Mais de brèves périodes de jeûne avaient été vérifiés dans
les années précédentes.
Fin avril 1937 elle a passé des journées vomissant jour et
nuit. (V. chap. 3)
Après le premier extase de la Passion, en octobre 1938,
elle reste 5 jours consécutifs sans s’alimenter et soumise à des vomissements
continuels. (V. chap. 4)
Fin novembre 1939, elle écrit au Père Pinho :
Adieu, mon Père, je ne peux pas m’alimenter. J’ai tant de
douleurs ! L (29-11-1939)
Jeûne définitif
De la déposition du Dr Azevedo au Procès Dicésain nous
transcrivons:
À compter du 27 mars 1942, jusqu’à la fin juin de la même année,
elle n’engorgeait qu’un peu d’eau salée dans laquelle on versait un filet
d’huile. D’autres fois on lui préparait quelque liquide, mais elle vomissait
tout, sauf s’il s’agissait d’eau pure. Elle se soumettait à ma volonté de lui
faire boire ces quelques liquides, mais en juin elle me dit : “Laissez-moi me
reposer et ne m’obligez plus à prendre quoi que ce soit, car je me sens mieux
sans rien prendre”.
Je lui ai répondu : “Étant donné qu’il en est ainsi, que votre
volonté soit faite”.
Encore une chose que j’ai trouvé admirable : vivant sans manger
de 1942 à 1945, chaque mois elle avait ses règles, et ceci jusqu’à l’âge de 47
ans. (Summ, pp. 46-47)
Pour avoir une idée de la souffrance provoquée par le
jeûne, nous transcrivons des extraits de deux lettres envoyées à son directeur :
Je ne peux pas expliquer la nostalgie que j’ai des aliments :
j’ai envie de tout mettre à la bouche ; j’aimerais prendre des aliments qui me
plaisent, mais je n’y arrive pas.
Mais, Dieu soit loué, mon intelligence est très vive.
J’offre tout mon martyre par amour pour Jésus, pour réparer tant
de crimes, pour Lui sauver des âmes et pour éclairer ceux qui ont ôté ma lumière
et mon confort sur la terre. (V. chap. 7 ; L 22-08-1942)
(…) Mon père, je continue sans m’alimenter. Je n’ai pas faim,
mais je sens un besoin, j’ai des envies dévoratrices de mettre en bouche tout ce
qui existe.
Si vous saviez combien me coûte cette nouvelle souffrance ! Que
ce soit pour Jésus et pour les âmes ! L (07-11-1942)
On en fait le contrôle !
Un fait aussi extraordinaire suscite la curiosité. En
outre, ceux qui pensent à une mystification ne manquent pas.
Le Dr Azevedo en parle à l’Archevêque Primat de Braga,
lequel conseil qu’un contrôle soit fait dans un hôpital.
Le Dr Azevedo prépare une consultation auprès du Dr Carlos
Lima, professeur universitaire et du Dr Gomes de Araujo, directeur de l’Hôpital
“Refuge de la Paralysie Enfantine” à Foz do Douro, près de Porto.
Pour satisfaire les désirs et la volonté de l’Archevêque Primat,
une fois encore je me suis soumise à une nouvelle conférence, qui s’est réalisée
le 27 mai 1943. (A. p. 59)
Les médecins en tirent une bonne impression, mais exigent
un contrôle dans une Maison de Santé ; pour cela ils choisissent la clinique du
Dr Gomes de Araujo.
Le 4 juin le médecin traitant et mon confesseur ordinaire
, sont venus m’annoncer la décision des médecins, et
me convaincre, moi et ma famille, de l’opportunité d’aller au “Refuge de la
Paralysie Enfantine” de Foz.
Je devais être placée dans une chambre sous surveillance, pendant un mois, pour
un contrôle plus direct de tout ce qui se passait en moi.
Moi, sur le coup, j’ai dit non, mais aussitôt je me suis avisée,
pensant à l’obéissance que je devais à l’Archevêque, et pour ne pas mettre dans
une situation délicate mon directeur, le docteur Azevedo et tous ceux qui
s’intéressent à moi. J’ai donc accepté la proposition, mais j’ai posé quelques
conditions :
1 — pouvoir communier tous les jours ;
2 — d’être toujours accompagnée de ma sœur ;
3 — de ne plus être soumise à aucun autre examen, car je partais
pour des observations et non point pour des examens.
Pendant les jours où je suis encore restée à la maison, j’ai
demandé à Jésus et à la Maman du Ciel de me donner force et courage ainsi que
force et courage pour les miens, qui étaient désolés.
Quarante jours sous rigoureuse observation
Le 10 juin 1943 Alexandrina commence son internat qui
durera non pas 30 jours mais 40, comme nous le verrons : le fameux “40”
biblique !
Le 10 juin arriva et, tout était prêt pour le voyage vers
l’hôpital de Foz do Douro.
Un immense chagrin s’empara de moi, mais en même temps un grand
courage m’est venu qui me permis de cacher tout ce qui se passait dans mon âme.
Je déposais toute ma confiance en Jésus, et j’étais si certaine de son aide
divine, que je pensais que s’il en était besoin, Il m’enverrait ses anges pour
m’aider dans l’exil où me voulaient les hommes.
Quand le médecin (le Dr Azevedo) est arrivé pour me
prendre, il n’a pas eu le courage de me dire qu’il nous fallait partir ; c’est
moi qui suis intervenue, lui disant :
“Allons, docteur, pour revenir il nous faut partir !”
Nous avons pris congé. Seul Notre Seigneur sait ce que m’a coûté
la séparation des miens qui, remplis de douleur, m’entouraient et
m’embrassaient. Moi je ne faisais que fixer le Cœur de Jésus et de la
Petite-Maman pour leur demander des forces.
En descendant les escaliers sur un brancard, j’ai dit aux miens,
pour les encourager : “Courage ! Que tout ceci est pour Jésus et pour les
âmes !”
Mais je n’ai rien pu dire d’autre, tellement mon cœur était
oppressé, et aussi pour retenir mes larmes. Il le fallait pour ne pas augmenter
davantage leur chagrin.
À peine déposée dans l’ambulance, j’ai été entourée par une
centaine de personnes, qui avaient les larmes aux yeux. J’ai entendu aussi les
sanglots de ma mère et des autres parents. La douleur qu’alors j’ai éprouvée est
indicible. J’avais hâte de partir, et partir vite ; mon cœur battait si
violemment que j’avais l’impression qu’il me cassait les côtes. J’ai dit alors à
Jésus :
“Acceptez toutes les pulsations de mon cœur comme autant d’actes
d’amour pour le salut des âmes”.
Le voyage fut difficile. Je pensais que mon cœur n’y résisterait
pas.
De temps en temps je regardais ma sœur ; elle était si abattue !
Le médecin disait qu’il n’était pas difficile de voyager avec des malades comme
moi parce qu’il me voyait toujours souriante.
Mais Jésus seul sait combien grandes étaient l’amertume de mon
cœur et les tourments de mon pauvre corps. À cause des secousses de l’ambulance
je me sentais déprimée, mais je répétais inlassablement :
“Tout pour votre amour, Jésus ! Que l’obscurité de mon âme puisse
éclairer d’autres âmes !”
Près des dernières maisons de Balasar, Monsieur Sampaio (l’ami
qui l’avait déjà conduite à Porto, lors du 4e voyage. Voir chap. 5)
releva les rideaux de l’ambulance. J’ai remarqué que le médecin avait les larmes
aux yeux. Je lui ai dit : “Nous voilà bien !”
Et je lui ai demandé ce qui se passait. Il m’expliqua alors que
sur le bord de la route quelques enfants nous avaient jeté des fleurs. Je me
suis sentie toute attendrie et c’est avec peine que j’ai pu retenir mes larmes.
Quand nous sommes arrivés à Matosinhos,
le médecin décrocha les rideaux afin que je puisse regarder la mer.
Un énorme silence m’envahit et, en observant le continuel
va-et-vient des vagues venant mourir sur la plage, j’ai demandé à Jésus que mon
amour, lui aussi, soit continuel et permanent.
Arrivés près du “Refuge”, le docteur Gomes de Araujo s’opposa à
ce que l’ambulance s’avance jusqu’à la porte. Il chargea les pompiers de prendre
mon brancard et de m’emmener ainsi, après m’avoir recouvert le visage afin que
personne ne me reconnaisse.
Mon cœur s’est attristé davantage, me représentant ce que ce
serait de passer de longs dans un tel établissement.
Ainsi recouverte il me semblait être dans un cachot et je me
demandais à moi-même : “Quel crime ai-je commis ?”
La montée des escaliers du “Refuge” m’a causé bien des peines car
l’on me portait la tête en bas. Ce ne fut qu’une fois dans ma chambre que mon
visage fut découvert. Là j’ai été entourée par le docteur Araujo et par quelques
dames qui devaient par la suite me surveiller. Ensuite on m’a placée dans mon
lit. (…)
Le lendemain, vendredi, commença pour moi, dans cette maison, un
vrai calvaire. À l’heure de l’extase, comme il arrive tous les vendredis, ma
sœur est venue auprès de moi ; mon médecin traitant (le Dr Azevedo qui
enregistra l’extase, pour le pour en faire un rapport aux médecins), et une
infirmière étaient aussi présents.
Aux observateurs présents, aucun détail n’a échappé, et tout a
été divulgué et commenté. (…)
Deolinda, qui avait reçu l’ordre de s’éloigner de la chambre,
était triste et demandait : “Ne puis-je au moins regarde ma sœur depuis la porte
de la chambre ? Ou pensez-vous que mon regard puisse l’alimenter ?”
Penchée sur mon lit elle pleurait, inconsolable. Ce fut alors que
je lui ai dit :
“Ne t’affliges pas, Notre-Seigneur est avec nous”.
Dans la nuit du vendredi au samedi j’ai eu l’une de ces crises de
vomissements qui me font tant souffrir. Cela m’a été d’autant plus pénible que
je n’avais personne pour me soutenir.
Ma prostration était telle que je ne me suis même pas rendue
compte quand il a frappé à la porte, toujours fermée à clef. Je ne l’ai entendu
que quand, tout près de moi, il susurrait à l’infirmière :
“Elle est condamnée ! Elle est condamnée !”
A ces paroles j’ai ouvert les yeux et je lui ai dit : “Docteur,
même chez moi j’ai de pareilles crises”.
Il m’a répondu immédiatement, d’un ton impérieux :
“Mademoiselle, ne croyez pas être venue ici pour jeûner !”
J’ai compris ce qu’il voulait dire et je me suis sentie
profondément blessée.
Informé sur ce qui était arrivé le vendredi, il a voulu lire le
récit de l’extase et il commenta, furieux :
“Il paraît impossible que le docteur Azevedo, si intelligent, se
laisse séduire par de semblables choses ! Il faut en finir avec tout ceci. En
attendant, enlevons d’ici toutes les horloges afin que cette malade ignore
jusqu’à l’heure qu’il est »
Comme si le Seigneur avait besoin d’horloge !
Constatant mon état, il aurait voulu me soulager à l’aide de
médicaments, mais je m’y suis opposée. Combien de fois les infirmières sont
venues près de moi, convaincues que j’étais morte !
Ce furent cinq jours d’une continuelle agonie, davantage dans
l’âme que dans le corps. Pendant les crises de vomissements, ils n’ont pas
permis à ma sœur de venir à côté de moi, alors que chez nous, parfois, deux
personnes n’étaient pas de trop pour me tenir.
Ils étaient tous persuadés que les crises étaient dues au manque
d’alimentation. (…)
Comme ils se trompaient ! Ils ne savaient pas que l’aliment me
venait de la sainte Hostie que je recevais chaque matin. (…)
Le Dr Azevedo vient de nouveau la visiter et réaffirme
qu’il ne permets pas que l’on intervienne avec des médicaments ou aliments, sauf
si Alexandrina les demande elle-même. Et à la surveillante il dit avec un
certain humour :
— “Je vous assure d’une chose, madame : vous mourrez, je mourrai,
mais la malade, elle, ne mourra pas dans cet hôpital !”
Assis à côté de moi, il me prodigua un peu de ce réconfort dont
j’avais tant besoin.
Par la volonté de Dieu, cinq jours plus tard, les vomissements
ont cessé, le teint est redevenu normal, ainsi que la luminosité des yeux.
Pendant la visite suivante de mon médecin l’assistante le salua
par cette phrase :
— “Regardez, docteur, regardez ce beau visage !”
Et le docteur de lui répondre délicatement mais néanmoins
fermement :
— “C’est le résultat des côtelettes qu’elle a mangé et des
piqûres qu’elle a prises !”
Jésus a bien voulu montrer une fois encore son pouvoir sur cette
humble créature.
Lors de certaines conversations, Alexandrina entends parler
d’hystérisme. Elle dit alors au Dr Azevedo :
Pour être traitée comme une hystérique je n’ai pas besoin des
rester là.
Mais il m’a demandé d’avoir du courage et de la confiance. Je lui
ai obéi pour faire en tout, la volonté de Dieu.
Le docteur Araujo venait me voir deux ou trois fois par jour,
mais jamais à la même heure. (…)
Lors des conversations et des interrogatoires, le Dr Araujo
utilisait tous les arguments possibles pour me convaincre de manger, me disant
que Dieu n’était pas content de mon jeûne.
— “Soyez convaincue, mademoiselle — disait-il —, que Dieu ne veut
pas que vous souffriez ! S’il veut sauver les autres, qu’il les sauve Lui-même,
il en a le pouvoir. S’il est vrai que Dieu récompense ceux qui souffrent, il n’y
a pas de récompense adéquate pour vous qui avez déjà trop souffert.
Mais, mon Dieu, je sais que vous êtes infini, infini en pouvoir,
infini dans les récompenses. S’il en était comme il me dit, pour qui je
souffre ?
Il accompagnait ses paroles d’un regard malicieux,
démoniaque — c’était l’impression que j’avais.
Je lui ai alors répondu :
— “Elles sont si grandes, si grandes les choses de
Notre-Seigneur ! Et nous, nous sommes si petits, si petits, moi en tout cas !”
L’espace d’un instant il se tût, ensuite, indigné, il s’est
exclamé : — “Vous avez raison, mais moi, je suis une personne bien plus
grande !” Et il est sorti.
Il était bien loin de connaître cette loi d’amour pour les âmes !
S’il avait compris la valeur d’une âme, il verrait alors que tout ce que nous
faisons n’est jamais de trop pour les sauver.
Les humiliations et les sacrifices affluaient constamment. Si du
moins j’avais su bien les supporter, j’aurais tant eu à offrir à Jésus. On me
présentait toujours de nouvelles choses qui réclamaient de moi humiliations et
sacrifices. J’avais au pied de mon lit une photographie de Jacinta
de Fatima.
Je la regardais avec amour et, sans craindre que les assistantes
le répètent au docteur, je soupirais :
— “Chère Jacinta, malgré ton jeune âge, tu as pu évaluer combien
coûtent ces choses ! Du Ciel où tu demeures, aide-moi !”
Seule l’aide du Ciel et les prières des âmes bonnes pourront me
donner force pour cheminer dans un si douloureux calvaire, et supporter le poids
de cette croix si pesante ! (…)
Elle chantait des louanges à Jésus et à la Mãezinha,
faisant semblant de jouir de la plus grande joie.
Je chantais avec le plus grand enthousiasme, mais au-dedans de
moi et dans mes yeux il semblait n’y avoir ni soleil ni jour.
Un jour le Dr Araujo lui fait un long discours pour la
convaincre qu’elle est dans l’illusion. Il lui raconte l’histoire de l’une de
ses thèses de son temps d’étudiant, qui lui avait coûté beaucoup de recherches
et qu’à la fin le professeur lui avait dit : “Ne voyez-vous pas que vous êtes
dans l’erreur, que cela n’est pas possible, pour telle et telle raison ?”
“Je suis resté sans souffle : mon Dieu, tant d’heures de
perdues ! Combien d’heures d’illusion ! Ma longue étude s’était écroulée en
quelques minutes !”
Moi qui savais où il voulait en venir, je lui ai dit, à ce
moment-là, en souriant :
— “Mais mon cas ne s’écroule pas, Docteur ! Je suis guidée par un
Directeur très saint et très sage, et qui m’a étudiée pendant de longues années.
Si l’œuvre est de Dieu, personne ne la faire s’écrouler !”
Le docteur, un peu embarrassé, m’a dit : “Ah non !...”, faisant
semblant que ce n’était pas celui-là le but de ses paroles.
Après ma réponse, il s’est levé en hâte et sortit. Il en était
temps.
Pendant ce long et douloureux exil, sa mère est venue la
visiter deux fois : le 16e et le 30e jour, qui devait être
celui du retour à la maison.
J’avais une si grande envie de la voir ! Elle n’a pu rester que
très peu de temps avec moi et toujours sous le regard inquisiteur des
surveillantes.
Elle pleurait et moi, je faisais semblant de ne pas avoir de
chagrin : je lui souriais, je plaisantais avec elle, je la cajolais, et avec mon
sourire trompeur,
je cachais la tristesse de mon âme, en retenant les larmes qui à tout prix
voulaient couler. Je l’ai encouragée, m’épanchant intérieurement avec Jésus.
C’était ma croix : ne devais-je pas la porter par amour de Jésus qui est mort
pour moi ?
Le jour est arrivé où le docteur, convaincu désormais de la
vérité,
permis un plus grand relâchement, autorisant pour quelque temps la venue de ma
sœur, même si toujours sous la surveillance de l’assistante. Il permit également
la visite, même si rapide, des sœurs Franciscaines du “Refuge”. Nous avions déjà
projeté de faire savoir à la maison la date de notre retour quand,
inopportunément surgit un contretemps.
L’une des infirmières surveillantes ayant parlé de mon cas à un
certain médecin qui ne me connaissait pas, et connaissait encore mon cas, a fait
naître des doutes.
Il s’est permis d’affirmer que ces choses-là étaient impossibles,
que les assistantes s’étaient fait berner et qu’il ne croirait qu’un envoyant
auprès de moi l’une de ses infirmières de confiance.
Le docteur Araujo, indigné par la méfiance manifestée vis-à-vis
de ses assistantes, lui imposa d’envoyer lui-même, auprès de moi, une personne
plus âgée, en qui il aurait entièrement confiance : il choisit sa propre sœur.
Et alors que nous pensions nous voir libérées de notre douleur, ce fut alors
qu’une nouvelle éprouve, bien plus triste et douloureuse, nous a été imposée.
Le docteur Araujo est venu nous convaincre de la nécessité de
rester encore dix jours. Ma sœur n’était pas d’accord, mais il insista
argumentant qu’il était nécessaire de convaincre l’autre médecin. J’ai dit alors
à ma sœur :
— “Quand on y a passé trente jours, on peut bien y passer
quarante”.
Et l’affaire fut ainsi réglée.
Cette dernière période fut un nouveau calvaire que j’ai offert à
Notre-Seigneur et à la Mãezinha : dure épreuve, mon Dieu !
Il a finalement été interdit de me parler de Jésus, car il
pensait que de cette façon il pourrait ôter ce que nous avons de plus intime en
nous.
Les séductions pour me faire manger quelque chose de leur repas
n’ont pas manqué ! Elle me présentait un morceau, sans mot dire, et moi, je lui
souriais. Si l’invitation était verbale, je lui disais : “Merci beaucoup”, mais
toujours souriante, faisant semblant de ne pas comprendre sa malice.
Le jour si désiré de quitter cette prison est arrivé !
Les deux sœurs ont la joie d’entendre dire le grand
médecin :
— “En octobre je viendrai vous visiter à Balasar, non plus comme
médecin espion, mais comme un ami qui vous estime”.
Et, honorant sa promesse, il est venu à Balasar.
Une grande satisfaction. Mais combien n’a-t-elle pas
coûté !
Dans l’après-midi de cette journée du 20 juillet, les religieuses
et les surveillantes sont venues me dire au revoir. Elles m’ont toutes fait des
cadeaux (fleurs et parfums). Certaines sont même venues assister à mon
départ.
Ni le parfum, ni les fleurs n’ont été pour moi un motif de
vanité.
Quand, pendant le voyage, nous nous arrêtions pour reposer, si je
voyais que des gens s’approchaient, par admiration pour moi, je disais à mon
médecin traitant : “Allons, allons, docteur !” (…)
Pendant le voyage j’ai vécu davantage à l’intérieur qu’à
l’extérieur de moi. La mer, tout ce qui se présentait à mes yeux, m’invitant au
silence, à la vie intime avec Dieu. Je n’avais pas de quoi être vaniteuse : tout
ce qui m’arrivait était plutôt motif d’humiliation, de me rendre si petite,
minuscule jusqu’à disparaître.
Qu’en serait-il de moi si je devais pas être jugée par le monde !
On déposa tant de malice là où il n’y en avait aucune. Pardonnez-leur, Jésus.
Ils ne connaissent pas vos méthodes !
Quand je me suis retrouvée dans ma petite chambre, je croyais
rêver !
J’ai pleuré, mais des larmes de joie !
Une fois déposée sur mon lit, pendant bien longtemps, je n’ai
plus permis que l’on me touche ; de continuels gémissements m’échappaient, à
cause des douleurs de plus en plus fortes, dues, probablement au voyage.
Maintenant je me dis : Pourquoi me suis-je sacrifiée ? Par
vanité, peut-être ? Pauvre monde ! Vanité ? Pourquoi ? Que sommes-nous sans
Dieu ? Qui pourrait souffrir autant seulement par veine gloire ou par vanité ?
Le docteur Azevedo avait raison quand, pendant le voyage aller,
en me plaçant un mouchoir humide sur le front, il me disait :
— “Vous avez quelques cheveux blancs, mais au voyage de retour,
vous en aurez encore davantage”.
Et, en effet, c’est ce qui est arrivé : il avait déjà le
pressentiment de ce qui m’attendait.
Mais il est si bon de tout supporter pour Jésus ! (A, pp.59-72)
Comme commentaire et conclusion de cette grande épreuve,
Jésus a dit :
“Tout ce qui est à Jésus ne tombe pas : au milieu de toutes les
tempêtes tout tient, brille, triomphe. C’est Jésus qui règne avec sa petit
folle” (…)
Là encore Alexandrina manifeste son humilité :
“O mon Jésus, merci beaucoup ! Triomphez et régnez pour votre
gloire, pour que les âmes soient sauvées. Je veux être toujours petite aux yeux
du monde, mais grande dans votre amour, grande à pouvoir vous sauver des âmes,
grande de ce pouvoir qui est le vôtre, de cet amour qui Vous appartient” S
(07-08-1943)
Le jeûne d’Alexandrina est un martyre de salut
Plusieurs fois Alexandrina entend Jésus lui affirmer ceci :
Si tu pouvais voir les âmes qui ont été sauvées par toi ! Et
particulièrement en ces trois années de ton jeûne ! Quel grand moyen pour venir
en aide aux pécheurs !
Je te montre là mon pouvoir, mon désir et mon amour envers eux.
(…) Martyre accompagné de jeûne sera le plus grand moyen, le dernier moyen de
salut.
(…) Le martyre atteindra son apogée et l’amour atteindra toute sa
plénitude.
L’amour de Jésus, la douleur pour les âmes : réparation sans
égal ! S (30-03-1945)
Alexandrina interprète sa faim physique comme un “signe”
d’une réalité spirituel : elle aussi, comme Jésus auquel elle essaie de
s’identifier, et elle y parviendra, comme nous le verrons, possède cette faim de
posséder le monde.
Le 25 avril 1954 elle dictera :
Le 27 mars, date du 12e anniversaire du commencement de mon jeûne je
ne pourrai jamais explique ce que j’ai ressenti en moi : la faim était si
grande, si grande, elle était infinie. Mais ce n’était pas la faim d’aliments.
J’étais comme si j’avais la poitrine et le cœur ouverts, et le monde venait
comme des vagues vers moi. Plus j’en avais, plus de vagues déferlaient, et plus
j’allais à leur rencontre et plus grande encore était mon envie de les
accueillir.
L’humanité était cette mer
et toute cette mer m’appartenait et tenait dans ma poitrine et dans mon cœur.
J’ai souffert amèrement, infiniment de voir que toute cette mer n’entrait pas en
moi. J’ai souffert seule, en silence. Mes épanchements ont été pour Jésus et
pour la Mãezinha. S (02-04-1954)
Le Dr. Azevedo communiqua au Père Mariano Pinho la nouvelle décision:
“Les médecins sont resté bien impressionnés, mais dernièrement, et
contre ce qui avait été convenu, ils exigent, pour un jugement
définitif, que notre infirme soit internée dans une maison de santé. Ils
ont affirmé que c’était là l’avis de plusieurs de leurs collègues... et
qu’ils ne voulaient pas compromettre leur renommée.” (31 mai 1943).
Et
quelques jours plus tard: “... Alexandrina craignait, initialement, que
son départ puisse compromettre la santé de la mère... Puis elle
consentit à l’internement à Foz. Aujourd’hui je suis allé à Porto et il
a été convenu de l’interner au « Refuge » pendant quelques jours. Je
leur ai demandé, et eux ils m’ont promis, de contrôler uniquement les
facultés mentales de la malade et le jeûne, mais sans la bouger... Ce
qui nous intéresse c’est la survie sans alimentation.” (4 juin 1943).
Le 6
juin il informe Alexandrina: “... Nous avons convenu de vous transporter
à Foz la semaine prochaine... Nul ne vous touchera sans que je sois
présent et sans mon autorisation. Tout d’abord nous vérifierons le jeûne
absolu qui est ce qui nous intéresse pour le rapport... Au sujet de
Deolinda il a été convenu qu’elle vous accompagnera à condition qu’elle
ne sorte pas du « Refuge » (qu’elle n’ai pas l’idée de sortir en ville
cherchez des aliments pour sa sœur). Il vaut mieux prendre ceci comme
une plaisanterie afin de ne pas nous avilir.”
Alexandrina a toujours eu des souffrances soit physiques soit morales à
tel point qu’elle dit un jour à Dom Umberto : “J’ai tant souffert dans
ma vie que, en y repensant, il me semble ne pas avoir eu aucun jour sans
douleurs... Il n’existe pas dans mon corps le moindre endroit qui n’ai
pas souffert”.
Malgré
cela, elle avait toujours le sourire et chantait.
Le docteur Azevedo, à la date du 4 juillet, écrivait au Père Mariano
Pinho : “... La malade est depuis le 10 juin sous observation jour et
nuit : son abstinence (de solides et liquides) a été vérifiée, elle n’a
produit la moindre goutte d’urine ; elle conserve le même poids et ses
facultés sont très lucides...” Puis le 12 du même mois : “Le jeûne a été
absolu, les analyses de sang normales... Les médecins affirment que chez
Alexandrina le surnaturel est évident”.
Il est bon de signaler que les routes portugaises, à ce temps-là,
étaient très mauvaises et mal entretenues, particulièrement les
secondaires qui reliaient les petits villages entre eux.
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