Il me coûte tant de
parler de ma douleur ! Mon sacrifice est tellement grand ! Si
seulement je pouvais dissimuler mes peines !
— Mon Dieu, ne
m’abandonnez pas, je dois obéir, je dois en parler, la douleur
est ma compagne habituelle.
Je souffre de jour,
je souffre de nuit, je souffre à toute heure, à chaque instant.
Je me sens rouler par terre ; je roule, je parcours le monde
sans m'arrêter, et c'est la douleur qui m’y oblige. Mon cœur,
l'âme et mon être tout entier se déchire. Je sens qu’un monde de
bêtes tombe sur moi, tous avec des trompes comme les éléphants,
qui pénètrent mon corps, et sucent tout mon sang ; je suis à
bout, je n'ai plus rien à leur donner. Volontiers, moi-même, je
leur ouvre mes veines, afin qu'ils sucent à leur aise. Mais
pauvre de moi, je suis comme une rivière asséchée, et l’on y
trouve plus que du sable épais et desséché.

— Ô mon Jésus, que
ferai-je davantage pour vous ? Que dois-je faire encore pour les
âmes ? Ô, le monde qui ne voit pas, et moi qui n’ai pas de
lumière pour l’éclairer. Tant d’âmes ont soif, et moi, je ne
peux pas les rassasier. Allez, mon bon Jésus, faites qu’elles
entrent toutes dans votre divin Cœur : qu’elles y trouvent la
lumière, qu’elles puissent s’y rassasier. De Vous elles peuvent
recevoir toute la vie dont elles ont besoin et que moi je ne
peux pas leur donner.
Ma préoccupation
c’est Jésus, ma préoccupation ce sont les âmes.
— Ô douleur, triste
douleur, je te veux, je t’aime ; tu viens de Jésus, je
t’embrasse, je t’enlace, je te souris d’âme et de cœur. Mais,
mon Dieu, comment vivre, écrasée par ce poids mondial ?
Les yeux de mon
corps ne peuvent pas voir le soleil qui par ses rayons tente
d’entrer par la fenêtre de ma chambre. Mes yeux ne peuvent pas
le voir ni mon esprit se souvenir qu’il existe, car les yeux de
mon âme ne voient que nuit, terrible nuit à l’intérieur et à
l’extérieur de moi.
Mes oreilles ne
peuvent pas entendre le chan t des petits oiseaux qui, par leurs
gazouillements rappellent que le printemps approche. Je ne peux
pas entendre la mer à cause de son bruit assourdissant, car la
mer sans fin, menaçante, toujours menaçante, avec des menaces
destructrices, est toujours sur mon âme. Tout cela me fait
penser à la grandeur de mon Dieu et m’oblige à rentre en moi, à
vivre au-dedans de moi, à ne pas sortir de moi, joignant Jésus
avec sa grandeur, son pouvoir, son amour à l’amertume, à la
douleur, à la nuit de mon âme. Je vis en la présence de mon Dieu
sans L’aimer, sans Le connaître, sans rien Lui donner. C’est la
grandeur sur le néant, c’est le feu sur la glace, la vie sur la
mort. Jésus le veut ainsi.
Ô volonté de mon
Seigneur, je ne veux que toi, moi aussi !
Encore une nuit où
le démon est venu deux fois, avec ses pénibles et torrentueuses
attaques. Au début j’ai lutté toute seule contre lui. Comme il
tardait à réussir ce qu’il voulait de moi, il m’a dit qu’il
allait appeler d’autres démons pour me satisfaire. El l’a fait :
d’autres, en effet, sont venus. J’ai combattu pendant encore
longtemps. Nouvelle menace:
— Tu ne vas pas
vers le plaisir de ta propre volonté, alors j’en invite d’autres
pour qu’ils te poussent au péché, au crime.
Tout cela était
accompagné de paroles et de noms horribles. Pauvre de moi ! La
sueur coulait, le cœur battait avec affliction. Ce n’est
qu’après avoir fait le mal — c’était ce qui me
semblait — souffrant une douleur indescriptible, j’ai crié pour
appeler :
— Jésus, ayez pitié
de moi, je ne veux pas pécher.
Il m’était
impossible d’esquisser le moindre geste. Mon Dieu, quelle
position si violente ! J’ai alors entendu Jésus qui parlait à
côté de moi, alors que je me trouvais sur un abîme encerclé par
une haie d’épineux. Je les ai vus clairement, car, parmi les
épineux, brillait, plus claire que la neige, je ne sais pas
quoi, on dirait des morceaux de nuages. Leur brillance faisait
ressortir les épines qui étaient très aigües, et les épineux
entremêlés les uns aux autres. L’abîme était si grand : il
n’avait pas de fond. Il était noir, noire, épouvantable. Je ne
trouvais que des épines et ces petits morceaux de nuages blancs.
Quand Jésus appelait : “ange, mon ange bien-aimé, ange de mon
épouse et victime, porte la à sa place, avec beaucoup d’amour et
de tendresse”, au même moment j’ai repris ma position, je me
suis trouvée sur mes coussins. Alors j’ai commencé à apercevoir
le fond de l’abîme qui remontait, remontait presque jusqu’au
bord, comme l’eau dans une source. Jésus m’a couverte de
caresses et m’a dit :
— Non, tu n’as pas
péché, tu n’ as pas péché, ma bien-aimée. Ta réparation, les
très fortes racines de ton amour ont arraché de cet épouvantable
abîme les racines du péché des âmes qui sont en lui. Elles
montent vers moi, même si elles rechutent, elles ne tomberont
plus aussi profondément, elles tomberont pour se relever
aussitôt et, petit à petit, elles seront fermes. Courage, ma
peite fille ! Cela ne te console-t-il pas ?
— Mon Jésus, je
n’ai d’autre consolation que celle de Vous avoir consolé.
L’êtes-Vous ?
— Beaucoup,
beaucoup, ma belle colombe. Je presse, je presse ma grappe de
raisins, je me réjouis, je me délecte des douces liqueurs
qu’elle me procure. Je les déguste pour ma consolation et joie,
tout cela profite aux âmes. C’est pourquoi je ne te donne pas de
joie ni de consolation avec la présence de ceux qui auraient pu
t’en procurer, les privant aussi de se consoler et de se réjouir
de te voir joyeuse et consolée.
— Merci, mon Jésus,
que Votre volonté soit faite.
Quelques heures
plus tard le démon est revenu. Il commença avec les mêmes ruses
et les mêmes actes affreux. Dès que je l’ai pressenti, je me
suis offerte à Jésus en réparation pour les âmes qu’il m’avait
demandé. Je l’ai fait vite, pendant que le maudit me laissait
faire. Presque en même temps, je disais :
— Jésus, je ne veux
pas pécher.
Au même moment je
répétais pour moi-même, sans pourtant le vouloir :
— Oui, je veux
pécher, je veux le plaisir, je veux Vous offenser.
Puis, aussitôt je
redisais :
— Jésus,
Petite-Maman, venez à mon secours, je ne veux pas Vous offenser.
Puis, je répétais
encore, sans pour autant le vouloir :
— Je veux Vous
offenser le plus gravement possible.
Pauvre de moi, il
me semblait être toute, toute acquise à Satan, désireuse de
satisfaire les passions. Mon cœur n’en pouvait plus de tant
lutter. Mon corps n’était pas cendre, il n’était rien d’autre
que souffrance, souffrance qui ne peut être connue que de celui
qui l’a subie. Il me semblait que le dé !mon avait réalisé ses
désirs. J’ai de nouveau appelé Jésus. Le maudit me disait :
— Oui, appelle-le
maintenant, après la jouissance, après que tu aies péché.
Jésus est venu. Il
s’est placée à côté de moi, et il suffit qu’Il lève sa main et
fasse un signe pour que l’attaque cesse et le maudit s’enfouie.
— Ô mon Jésus, dans
quelle agonie je me suis préparée pour Vous recevoir. Quelle
confusion que la mienne. Quelle honte je ressentais lorsque vous
êtes entré dans mon cœur. Je ne peux pas penser à Votre bonté
infinie !
Pendant la journée,
de nouvelles épines surgirent d’un côté et de l’autre. De bon
gré, sans essayer de les éloigner, les yeux fixés sur Vous et
par amour pour les âmes, j’ai laissé que toutes ces épines se
plantent dans mon cœur. Ou souffrir ou mourir. Si je ne console
pas mon Jésus, si je ne sauve pas les âmes, que fais-je ici, à
quoi sert ma vie ?
À rien, rien, rien. |