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ÉCRITS DE LA BIENHEUREUSE ALEXANDRINA

“SENTIMENTS DE L'ÂME”
— 1945 —

1er Mars 1945

Je n’ai pas de vie, je n’ai pas de sang, j’ai tout donné, j’ai tout perdu. J’ai tout donné inutilement, il me semble. Je sens une perte si grande ! Mon Dieu, il me semble ne pas exister, seule la souffrance existe et c’est la mienne. Le monde existe et il a besoin de ma souffrance. Mon âme ressent une faim si grande, mais une faim du monde, c’est le monde qui vient s’alimenter de ma souffrance, c’est un monde de bêtes féroces qui profitent autant qu’elles peuvent de ma souffrance. Ce n’est rien, je ne souffre rien en comparaison de ce dont l’humanité a besoin.

— Jésus, qu’est-ce que cette souffrance !

Il me semble arracher mon cœur de ma poitrine et le transformer en de petites miettes, pour les donner au monde, pour les donner aux âmes. J’aimerais passer ma vie à mendier des cœurs afin qu’ils servent d’aliment pour le salut des pécheurs. Je voudrais crier fort, tellement fort que ma voix soie entendue dans toute l’humanité :

— Ô monde, ô monde ingrat, je suis tienne, je me donne à toi pour Jésus et pour la Petite-Maman. C’est pour Eux que je te transmet mon sang, ma vie ; c’est pour Eux que je te veux ; c’est pour Eux que je suis tienne ; c’est pour Eux que je t’aime. Je t’aime pour te sauver, je t’aime pour pouvoir t’offrir à Jésus et à la Petite-Maman.

Pauvre de moi, je n’ai rien à donner, je n’ai plus rien à faire. Que d’horreurs se passent en moi, causés par la folie, par une envie insupportable d’aimer Jésus et de sauver l’humanité.

Dans la nuit du 27, j'ai eu une vision d'épineux qui m'a causé une grande souffrance et la peur. C'était une forêt d'épineux, que des épineux en face de moi, était un fourré. Ils montaient à une très grande hauteur, tellement entrelacés les uns dans les autres que je n’arrivais à en voir la fin.

Ils sont tous accrochés à tomber sur moi, très épaisse et longue. Ne connaît pas la signification de celui-ci, je ne comprenais rien. Tous ces épineux semblaient tomber sur moi. Ils étaient gros et très longs. Je n’ai pas réussi à comprendre la signification, je n’ai rien compris. Ce que j’ai ressenti depuis lors, c’est que j’en suis entourée. Mon lit est un lit d’épineux, les couvertures de mon lit sont des épineux, les vêtements dont je m’habille sont des épineux, moi-même je suis ces épineux. Tout est souffrance, tout est sang, la souffrance ne m’appartient pas, le sang n’est pas le mien. Je suis au milieu de fourré, qui est lui-même sang, sang qui fleuri et donne la vie à tous ces épineux. Sur eux continue de tomber une pluie de sang. Quels épineux si vigoureux ! Mon âme sent que de ces épineux va éclore une pluie de boutons blancs. En plus de ces épineux qui me blessent, je reçois des blessures faites par les épines des créatures et par celles dont je m’attendais le moins. Combien il m’a été difficile de cacher mes larmes ! J’aimerais que Jésus seul les voie. Mon Dieu, combien d’angoisses à l’intérieur de moi! Je ne peux avoir aucun appui sur terre, je n’ai rien à attendre d’ici. Ô, même de ceux qui me sont chers, Jésus a pris pour Lui leur joie et le réconfort qu’ils auraient pu me procurer. Je me sens honteuse devant eux, apeurée comme si je les avais offensés et contre eux avoir pratiqué les plus grands crimes.

Le démon continuait à courir vers moi comme un cheval fou. Pendant sa chevauchée folle il m’insulte et m’invite au mal. J’entends de sa part ce que je n’ai jamais entendu des créatures, je connais par lui ce que je n’ai jamais connu par le monde. Je ne sais pas si je lui ai dit, mais il me semble que oui :

— Tu ne me satisfais pas, invite davantage de démons pour pécher avec moi; je veux le plaisir, je veux profiter du plaisir de la chair.

Quelle horreur, quelle horreur il me semble que je lui disais cela et éloignais loin de moi le chapelet et la Petite-Maman, il me semblait lui cracher dessus et le piétiner. J’ai toujours l’impression que le maudit arrive à ses fins et qu’il fait de moi ce qu’il veut et je reste avec l’idée d’avoir offensé mon Jésus. Au plus fort de la souffrance, à un moment où il était moins pressant, j’ai répété plusieurs fois :

— Non, non, non, mon Jésus, je ne veux pas commettre de péché !

À ce moment-là, Jésus est venu me soustraire à cet abîme où je me trouvais.

— Oui, oui, ma fille, tu ne veux pas commettre de péché, tu veux mon divin amour, et celui-là je te le donne avec grande abondance. Oui, oui, oui, ma fille, tu ne veux pas commettre de péché, mais le salut des âmes, mais ce n’est que par cette réparation que tu peux les sauver, surtout celles qui m’offense en cette matière (le péché de la chair). Je te l’ordonne, ma toute belle, que tu retournes sur tes coussins[1].

Une force venue de je ne sais d’où, m’y a placée. Fatiguée d’avoir tant luté, baignant dans ma sueur, j’ai continué de répéter : “amour, amour, toujours de l’amour, mon Jésus, des âmes, toutes les âmes”. Je ne sais pas comment le maudit peut se présenter avec des  visages aussi laids, avec des regards terrifiants et sous des formes de bêtes aussi variées. Elles (les bêtes) viennent tout près, comme pour m’avaler, certains sont très désinvoltes. Quel dommage que toutes les personnes méconnaissent leurs artifices et leurs ruse.

Aujourd’hui, au petit matin, j’ai senti dans mon âme, j’ai entendu de mes oreilles, des bruits forts, des grands coups pour ouvrir ma sépulture. Elle était si profonde ! Quelle horreur, c’est jeudi ! La mort courre vers moi, la sépulture est prête. Sur moi tombe le poids de toutes humiliations, rien n’existe de mauvais qui n’ai pas été dit contre moi. Mon âme voit déjà ce qui va ôter la vie de mon corps. Ma sépulture est un puits, un abîme. Il n’y a pas de joie en moi, tout ce qui est beau et puissant pour moi, c’est la souffrance. Couchée sur mon lit, j’ai pu admirer la grandeur du Créateur. J’ai vu par la fenêtre les arbres couverts de fleurs. Quelle merveille ! Leur blancheur se transformait en nuit dans mon âme. Tous les pétales de ces mêmes fleurs ont été autant de flèches qui venaient se planter dans mon cœur.

— Que dire, mon Dieu ? Accepter ce qui vient de Vous, accepter Votre volonté, Seigneur ! Je vais vers la mort les yeux rivés sur Votre croix.


[1] Voir plus haut, la note concernant les coussins.

 

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