Alexandrina et le Père Pinho
II
Jésus avait donc demandé à Alexandrina d’accepter de vivre sa
Passion toute entière, sauf le “Consumatum est”. Il lui avait dit, pour
mieux lui faire comprendre le besoin qu’Il voulait avoir d’elle pour cette
mission particulière :
« — De
la même manière qu’avant que je ne vienne dans le monde, des victimes étaient
immolées dans le temple, ainsi aujourd’hui je veux immoler ton corps comme
victime. Donne-moi ton sang pour les péchés du monde. Aide-moi dans le rachat.
Sans moi tu ne peux rien ; avec moi tu peux tout, pour aider les pécheurs et
pour bien d’autres choses ».
« Jésus m’a dit — raconte-t-elle à son Père spirituel
— que de la même manière qu’il est fidèle à demeurer en moi pour me consoler,
que moi aussi je devais être fidèle (…), pour le consoler et l’aimer ; que je
devais lui donner mon corps pour être victime ; que des milliers de victimes ne
seraient pas de trop pour réparer tant de péchés et les crimes du monde... »
Alexandrina ne refusera pas cette mission et elle s’offrira
même d’une façon toute particulière :
Un dimanche après-midi, le 14 octobre 1934, alors que les
siens étaient partis à l’église, elle prit une épingle, se perça la chaire et
avec le sang qui coulait, elle écrivit sur une image pieuse cette offrande qui
prouve sa décision irrévocable de se donner toute à son Époux :
« — Avec mon sang, je vous jure de beaucoup vous aimer,
mon Jésus. Que mon amour soit tel, que je meure enlacée à la croix. Je vous aime
et je meurs d’amour pour vous, mon cher Jésus. Je veux habiter dans vos
tabernacles ».
Son cœur devient de plus en plus sensible à la Passion du
Seigneur. Le savoir si offensé par les pécheurs est pour elle un martyr presque
insupportable. Écoutons-la :
« Quand je contemple Jésus crucifié et le vois si
maltraité, alors mon chagrin redouble et mon cœur se remplit de douleur et de
tristesse, me souvenant qu’à chaque instant il est si horriblement crucifié...
J’en souffre beaucoup. Parfois, mon corps n’en peut plus résister et je crois
mourir ».
L’invitation au crucifiement va prendre forme et, le jour est
même fixé par le Seigneur, comme elle l’explique dans une lettre à son Directeur
spirituel :
« Au matin du 2 octobre 1938, Jésus m’a dit que je devrais
souffrir toute sa sainte Passion, du Jardin des Oliviers au Calvaire, sans aller
jusqu’au “Consummatum est”. Je devrais la souffrir le 3 et ensuite tous les
vendredis de 12 heures à 15 heures, mais que pour la première fois Il resterait
avec moi jusqu’à 18 heures pour me confier ses lamentations.
Je ne me suis pas refusée ».
Puis, dans son Journal elle ajoute encore :
« J’ai informé mon directeur de tout ce que Jésus m’avait
dit.
J’attendais le jour et l’heure, très affligée, car ni moi
ni mon directeur, nous n’avions aucune idée de ce qui allait arriver.
Pendant la nuit du 2 au 3 octobre, si l'angoisse de mon
âme a été grande, non moins grande a été aussi la souffrance de mon corps. J'ai
commencé à vomir du sang et de bien douloureuses angoisses m'ont envahie. Cela
s'est répété pendant encore un certain nombre de jours ; je ne pouvais prendre
le moindre aliment. C'est ainsi, qu'au plus fort de mes souffrances je suis
entrée dans ma première crucifixion. Quelle horreur je ressentais en moi !...
Quelle indicible affliction !... »
Puis, le moment venu, Jésus vint la prévenir :
« Midi sonné — écrit-elle dans son Journal —, Jésus
est venu m’inviter :
— Voilà, ma fille, Le Jardin des Oliviers est prêt,
ainsi que le Calvaire. Acceptes-tu ?
J’ai sentis que Jésus, pour quelque temps, m’accompagna
sur le chemin du Calvaire. Ensuite, je me suis sentie seule. Je le voyais là
haut, grandeur nature, cloué sur la Croix.
J’ai cheminé sans le perdre de vue : je devais arriver
près de Lui.
J’ai vu deux fois sainte Thérèse : la première fois à la
porte du Carmel, dans sa tenue, entre deux autres sœurs, puis entourée de roses
et recouverte d’un manteau céleste ».
Le 3 octobre est, en effet, le jour de la fête liturgique de
sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus, sainte pour laquelle Alexandrina avait une
très grande dévotion et qu’elle considérait comme sa sœur spirituelle.
« Ce fut ainsi qu'Alexandrina — nous explique le Père Umberto
Pasquale, son deuxième Directeur spirituel — commença à souffrir la passion de
Jésus. Au cours de ces manifestations elle demeurait en extase, tout le long des
trois heures et demie que cela durait : elle ne souffrait que ce qui se
renouvelait dans son âme et dans son corps de la Passion du Sauveur.
Les souffrances de Jésus agonisant se reproduisaient en elle
une à une : depuis le Jardin des Oliviers jusqu'au dernier soupir sur la croix.
Le mystérieux martyre se manifestait extérieurement, depuis
midi jusqu'à quinze heures.
Chose admirable : pendant qu'elle était en extase, elle
obéissait encore et toujours à son directeur ou à tout autre personne mandatée
par lui. Elle obéissait non seulement aux ordres explicites, donnés de vive
voix, mais aussi lorsque ceux-ci étaient donnés uniquement par la pensée ».
Après les tourments de la première passion, Alexandrina
sentit le besoin d’exprimer ses sentiments de reconnaissance au Seigneur. Elle a
écrit elle-même, ce soir-là, sur une image cette pensée : “Jésus m’a conduite
du Jardin des Oliviers au Calvaire. Quel grand bonheur ! Maintenant je peux
dire : je suis crucifiée avec le Christ”.
Le Père Pinho qui comme Alexandrina « n’avait aucune idée
de ce qui allait arriver » raconte encore :
« Jusqu’à cette date, la vie extraordinaire d’Alexandrina
n’était connue que de sa sœur Deolinda, et de son amie Çãozinha à qui elle
dictait aussi quelques lettres pour son Directeur. Sa mère, même, n’était
pas dans le secret ».
En effet, Ana Maria, la mère d’Alexandrina, travaillait dur
pour « gagner le pain quotidien » pour elle et pour ses filles, et il est donc
normal, que n’étant pas mise au courant des états particuliers de sa plus jeune
fille, elle l’ignore complètement, même si, comme le dit encore le Père Pinho,
« elle a été témoin oculaire des attaques diaboliques et de quelques-uns des
transport d’amour divin qui soulevaient sa fille au-dessus du lit ».
Mais, « à partir du 3 octobre, Dieu voulut la faire connaître
davantage : les événements qui eurent lieu ce jour-là se passèrent devant
plusieurs témoins. Tous les vendredis suivants, jusqu’au 24 mars 1942, il en fut
de même »,
précise encore le Père Pinho.
Le saint Directeur spirituel d’Alexandrina, sera dès lors un
spectateur assidu et attentif chaque vendredi et, il saura s’entourer de
spécialistes sérieux qui étudieront à fond toutes les étapes de cette « passion
vécue » et qui donneront, le moment venu leur avis compétent.
« Tous ceux qui étaient témoins de ces extases — explique le
Père Umberto Pasquale —, retenaient leur souffle et se sentaient transis par
l'émotion. Dans le silence le plus profond, ils essuyaient leurs yeux remplis de
larmes : ils avaient tous la nette impression d'assister à la passion et à la
mort de Jésus.
Les contusions causées par les chutes sous la croix et les
marques visibles sur plusieurs endroits du corps, produites par les supplices,
disparaissaient après l'extase, en peu de temps. Alexandrina, disposée à tout
endurer, demanda au Seigneur de ne pas lui laisser des stigmates visibles, ni
aucun signe extérieur, témoin de ses souffrances mystiques ».
Mais cette nouvelle situation, maintenant « sur la place
publique », va déchaîner les passions et, pour taire toutes les rumeurs, le Père
Pinho crut qu’une enquête serait des plus utiles ; il s’en chargea, mais le
résultat ne fut certainement pas celui qu’il espérait.
Écoutons ce qu’en dit Alexandrina :
« En même temps que les grâces divines augmentaient,
augmentaient aussi les doutes et la peur de me tromper et de tromper mon
directeur spirituel et ma famille. Mon martyre augmentait, lui aussi, de plus en
plus : il me semblait que tout était faux et inventé par moi. Mon Dieu, quel
coup pour mon cœur ! Les ténèbres m’enveloppaient: je n’avais personne pour me
montrer le chemin. Mon directeur faisait pourtant bien des efforts pour me
redonner confiance, mais rien n'y réussissait ».
Pour mieux comprendre cette phase importante de la vie d’Alexandrina,
il est nécessaire de lire “Le Château intérieur”, sixième mansion, de
sainte Thérèse d’Avila. Mais, laissons la parole à Alexandrina qui poursuit
l’explication de ses sentiments et du résultat de l’enquête :
« Malgré cela, je me faisais violence pour m’abandonner
dans les bras de Jésus, afin de ne pas être prise dans le tourbillon ! Je
souffrais beaucoup à cause des larmes de ceux qui m’entouraient et, je pensais :
— Mon Dieu, si le courage leur manque, comment n’en manquerai-je pas ?
Quelle humiliation je ressentais d’être observée par
d’autres ! O, si seulement je pouvais souffrir seule et que ce fut Jésus le seul
à savoir combien je souffrais pour Lui !
Aussitôt après la crucifixion, les examens des théologiens
ont commencé. Quelle honte j’ai éprouvé, non pas pendant la Passion, mais avant
et après.
J’ai commencé à comprendre que mon directeur spirituel
souffrait beaucoup, intimement, à cause de moi, c’est-à-dire, en voyant tout ce
qui arrivait.
Les examens des théologiens ont été suivis par ceux, très
douloureux, des médecins, lesquels laissaient mon corps en piteux état. J’avais
l’impression de comparaître devant un tribunal, comme si j’avais commis les plus
grands crimes ».
Il faut dire ici que l’avis unanime des prêtres était
celui-ci :
« Que l’on fasse appel aux médecins », car, en effet,
les mouvements accomplis par Alexandrina, lors de la Passion, les laissaient
dubitatifs, quand on sait que la servante de Dieu était devenue paralysée et ne
pouvait donc pas se mouvoir. Pendant la Passion, elle faisait tous les
mouvements — et sans l’aide de personne ! — relatifs aux divers moments de la
Passion du Seigneur : agonie, tribunaux, chutes lors du chemin de Croix, etc.
C’est pour cela que l’on fit appel aux médecins spécialistes, afin que leur avis
une fois obtenu, pensait-on, mette fin à ce que d’aucuns appelaient déjà une
« grosse supercherie ».
Alexandrina écrit encore :
« Combien il m’était pénible de les voir entrer dans ma
chambre, m’examiner et ensuite se réunir dans une salle pour discuter sur mon
cas, me laissant sous le poids de la plus grande humiliation !
Pas même le plus grand criminel n’aurait pas été jugé par
un tribunal avec autant de soin.
Si je pouvais ouvrir mon âme afin que l’on puisse voir ce
qui se passait en elle et ce que j’ai vécu quotidiennement — car je revis ces
jours ! — je le ferais pour le bien des âmes, en dévoilant combien je souffrais
pour l’amour de Jésus et pour elles. Ce n’est que pour cela que je me suis
soumise à de telles souffrances.
Quand mon directeur m’a proposé ces examens, ce fut pour
moi un grand déchirement ; une forte répulsion a jailli en moi ; mais
l’obéissance l’ordonnais : je me suis réprimée et je les ai acceptés pour Jésus.
Il ne manquait plus que des médecins pour compléter mon
calvaire !
Quelques-uns ont été pour moi de vrais bourreaux placés
sur ma route.
Ceux-ci, après leurs consultations, ont décidé de
m’envoyer à Porto. Ce fut très difficile pour moi de m’y soumettre. Je craignais
le voyage, étant donné mon état de santé ».
L’implication du Jésuite dans cette « aventure mystique »
indisposa quelque peu ses collègues, et les supérieurs du Père Mariano Pinho,
crurent à l’hystérie et peut-être aussi à la mystification de la part
d’Alexandrina : de là les souffrances du Père Mariano Pinho.
Le médecin traitant d’Alexandrina, en accord avec le Père
Mariano Pinho, décida de l’envoyer à Porto où le plus grand spécialiste de
l’époque pour les maladies nerveuses, donnait des consultations.
Ce fut pour Alexandrina un très grand sacrifice, mais, par
obéissance, elle accepta cette épreuve supplémentaire et se soumis à la décision
sage et pertinente de son Père spirituel.
Alexandrina s’en souvient fort bien ; elle raconte dans son
Journal :
« Quand mon médecin traitant ― le
docteur João Alves ―,m’a fait connaître leur décision, je lui ai
répondu :
— Vous même, en 1928, vous ne m’avez pas autorisé à aller
à Fatima, et maintenant, alors que je suis bien plus souffrante, vous voulez
m’envoyer à Porto ?
— C’est vrai que je ne l’ai pas voulu, mais maintenant je
le veux.
Je lui ai demandé si mon Père spirituel était au courant
de cette décision. M’ayant répondu par l’affirmative, j’ai cédé à sa requête.
Le 6 décembre 1938, vers onze heures, j'ai été transportée
de mon lit à l’ambulance.
Dans la matinée, plusieurs personnes amies sont venues me
rendre visite ; presque toutes ont pleuré. En ce qui me concerne, j’avais
cherché à toutes les égayer, faisant semblant de ne rien souffrir.
Le voyage fut douloureux. Il nous a pris presque trois
heures et demie, car nous devions faire plusieurs pauses, à cause de mon état de
santé ».
Puis, en 1938, ce fut le tour du Saint-Siège à faire son
enquête.
Plusieurs fois, Jésus avait demandé qu’Alexandrina, puis, son
Directeur spirituel, le Père Pinho, écrivent au Pape pour demander la
Consécration du monde au Cœur Immaculé de Marie ; Cela avait été fait, mais les
choses traînaient, car le Siège Romain avait, lui aussi besoin de s’assurer de
la véracité des faits.
En 1939, Jésus avait même menacé :
« — Le monde est suspendu à un fil très fin... Ou le
Pape se décide à le consacrer ou le monde sera puni !... »
Nous étions alors au bord du précipice : la deuxième guerre
mondiale allait bientôt commencer.
Pour donner suite aux lettre reçues, le Saint-Siège envoya
chez la Bienheureuse fille un émissaire, en la personne du chanoine Manuel
Pereira Vilar, qui se montra très attentif et plein de sollicitude envers
Alexandrina.
Dès son retour à Rome, il fit son rapport, mais les choses
ont encore prit du temps, car ce ne fut qu’en pleine guerre, en 1942, que cet
acte fut mis à exécution par le Pape Pie XII.
Le temps passe, mais les souffrances augmente. Alexandrine
les accepte, mais se plaint tout de même à son Père spirituel, auquel elle a
pris le parti de tout raconter dans les moindres détails, particulièrement
lorsque l’Eucharistie lui manque.
Voici l’extrait d’une lettre qu’elle envoya au Père Pinho le
17 février 1940 :
« Mon Père, combien douloureuse est ma souffrance et
lourde ma croix ! Je me sens épuisée. Oh, le vide que je sens par le manque de
l’aliment eucharistique ! Quelle nostalgie. On dirait que mon cœur explose. Je
ne sais pas comment tant d’âmes peuvent vivre des années, voire la vie entière,
sans recevoir Jésus ! Malheureux, car ils ne le connaissent pas ».
Mais son envie de souffrir pour faire plaisir au Seigneur et
pour Lui sauver des âmes est bien plus fort, est bien plus présent dans son âme.
Alors elle chante la douleur, elle en fait sa compagne et sa raison de vivre :
« O douleur, douleur bénie !
O croix, ô lit sacré,
je veux que tu sois ma tombe,
d’où je ne puisse plus sortir !
Tu es, ô croix bénie,
l’immense trésor dont Jésus m’a enrichie !
Je te veux, je t’embrasse,
je veux être clouée à toi,
et être entourée d’épines !
C’est pour Jésus que je veux être blessée
et avec Lui, sur l’autel, être immolée !
Heureuse fortune — celle de la croix —
qui m’attend sur la terre ;
elle me fera éternellement bienheureuse au ciel !...
Bienheureuse elle le sera, en effet, et de façon officielle,
depuis le 25 avril 2004.
Cette période est aussi celle de la grande nuit de l’esprit :
Alexandrina se sent abandonné et elle en souffre. Le 6 mai 1940, écrivant au
Père Pinho, elle raconte son état :
« L’abandon dans lequel Jésus laisse mon âme, la manière
dont Il descend dans mon cœur [dans la Communion], sans lumière ni flamme, sans
me donner ni recevoir de l’amour, comme s’il y venait mort et que moi-même je
sois morte, m’oblige presque à penser que j’ai une vie d’illusion et
d’imposture.
Mais je dois croire que Jésus vit et règne en moi, qu’Il
m’aime et ne m’abandonne pas, que je suis à Lui et que je ne vis que pour Lui.
Ma vie a servi à Jésus... »
Deux jours plus tard, le 8 mai 1940, de nouveau elle écrit à
son Directeur spirituel, pour lui raconter de quelle manière la Mère de Dieu est
venue la soutenir :
« — Ma fille, ma fille, viens sur mon Cœur. Je t'invite
à te reposer entre mes bras très saints. Abandonne-toi sur mon Cœur de mère. Tu
es la préférée de Marie. Oh ! Combien tu es aimée par nos deux Cœurs !
Je me suis sentie entre les bras de la Maman, enlacée,
caressée et couverte de tendresse.
Il n'est pas possible de comparer la douceur et la
tendresse d'une mère de la terre avec celle de la Maman du ciel !...
Mon âme a été réconfortée: mon cœur en resta heureux
pendant un peu près une heure ».
Mais, la guerre fait rage et, de plus en plus des voix se
lèvent pour affirmer que le Portugal, allié de toujours de l’Angleterre, sera
obligé d’y participer. Mais, c’est sans compter sur la protection divine, c’est
s’avancer dans des hypothèses dont Dieu seul connaît la suite et la fin. Alors
Alexandrina prie pour que son pays soit épargné et, la réponse lui vient sous la
forme d’une affirmation catégorique, mais aussi comme une menace :
« Après une courte prière et l’offrande de moi-même
― écrit-elle dans son Journal, le
4 juillet 1940 ―, avec d’autres victimes, en union
avec la Maman du Ciel, pour obtenir que le Portugal soit libéré du terrible mal
de la guerre, j’ai été, tout à coup, écoutée ; Jésus a bien voulu me répondre de
suite :
— Demandez et vous recevrez. Demandez avec confiance.
Le Portugal sera épargné. Mais, malheur à lui s’il ne correspond pas à une aussi
grande grâce ! Aie confiance ; c’est Jésus qui te le dit, et il ne trompe
jamais ».
« Avec d’autres victimes » a-t-elle écrit…
En effet, à cette même époque, d’autres âmes-victimes
portugaises, dont les causes sont actuellement en cours, priaient pour obtenir
cette même grâce : que le Portugal soit épargné.
Parmi ces âmes exceptionnelles on peut citer le Père
Francisco Cruz, jésuite qui connut les enfants de Fatima ; Maria da
Conceição Pinto da Rocha, la fondatrice des Sœurs Missionnaires Réparatrices
de la Sainte-Face ; Sílvia Cardoso, la mère Teresa Portugaise ; Teresa
Saldanha, fondatrice de la Congrégation portugaise des Sœurs Dominicaines de
Sainte-Catherine de Sienne ; Maria Isabel Picão, fondatrice des Sœurs
Conceptionistes au Service des Pauvres, et bien d’autres, sans oublier, bien
entendu, sœur Lucie de Fatima et les autres âmes priantes qui, vivant
autour du Sanctuaire marial de la Cova da Iria, priaient également aux mêmes
intentions. C’est le cas du Père José Aparício da Silva, qui fut
Directeur spirituel de sœur Lucie ; ce fut le cas du chanoine Manuel Formigão ;
ce fut le cas encore de Maria Andaluz, tous trois apôtres de Fatima et
dont les causes de béatification et de canonisation sont en cours.
Puis, les choses vont se précipiter, en ce qui concerne le
Père Pinho, dont les Supérieurs sont toujours aussi dubitatifs au sujet
d’Alexandrina. Celle-ci le pressent et, en lui écrivant le 29 novembre 1940,
elle lui dit :
« Je sens que vous souffrez. Je sens l’instrument avec
lequel vous êtes blessé. Je sens clairement que cette douleur vous blessera
jusqu’à la fin.
Je ne sais pas de quel côté me tourner : tout est douleur,
de vives douleurs dans l’âme et dans le corps. Je le veux et je l’accepte comme
Jésus le veut... »
Une nouvelle visite à Porto, pour consulter des spécialistes
va être décidée. Alexandrina passera alors quarante jours enfermée dans une
chambre d’hôpital, dont seul le médecin et sa secrétaire possède la clef. Ils
veulent, d’une fois pour toutes démontrer que le cas de la bienheureuse fille
n’est qu’une immense supercherie, montée de toutes pièces par celle-ci, par sa
sœur et peut-être même avec l’aide de son Directeur spirituel qui est de plus en
plus mis sur la sellette, au grand dam de ses Supérieurs.
Avant son départ, elle est réticente, mais son courage et son
amour de Dieu prennent rapidement le dessus. Écoutons-la se confier au Père
Mariano Pinho dans une lettre du 14 juillet 1941 :
« Je me trouve dans une nuit obscure, sans la moindre
goutte de rosée.
Il n’y a pas de baume pour les douleurs de mon âme. Je vois de loin les coups
qui blessent mon cœur. J’ai du mal à respirer sous le poids des humiliations. À
l’idée des souffrances que me procurera mon voyage à Porto, je dis à moi-même :
— Je vais en jugement.
Opprimée et anéantie par cette douleur, je pense :
— C’est pour Jésus et pour les âmes !
Et alors tout mon être se transforme en une seule pensée :
— Dieu en tout et avant tout.
Je passerai toute ma vie ne pensant qu’à Dieu seul. Tout
passe : Dieu seul reste. La pensée de Dieu enveloppe ciel et terre. Je m’abîme
en Lui. Je peux l’aimer et penser à Lui pendant toute l’éternité. Cette pensée
me soulage ; cependant c’est ainsi que j’adoucis ma douleur et que je peux
sourire au tableau triste et douloureux qui se présente à moi. Je fais semblant
d’avoir une grande joie de mon voyage à Porto, afin de rasséréner les miens et
qu’ils ne comprennent pas la douleur qui habite mon cœur... »
Mais, Alexandrina en sortira grandie : le médecin, le docteur
Gomes de Araujo, n’a rien put trouver qui prouve la thèse de la supercherie ;
bien au contraire : lui qui était athée, se proposa de venir à Balasar lui
rendre visite : « En octobre je viendrai vous visiter à Balasar, non plus
comme médecin espion, mais comme un ami qui vous estime », lui dit-il. Et il
est venu.
Un peu plus tard, un cas bien particulier vint s’ajouter aux
souffrances de la pauvre Alexandrina : un prêtre de Lisbonne menait une vie de
débauche et il fallait le sauver des flammes de l’enfer. Mais, laissons à
Alexandrina le soin de nous le raconter, en reproduisant ici une partie de la
lettre envoyée à son Directeur spirituel le 9 août 1941 :
« — Ma fille – lui dit Jésus un jour
―, il y a à Lisbonne un prêtre qui est tout près de
tomber en enfer. Il m’offense très gravement. Appelle ton Père spirituel, et
demande-lui l’autorisation pour que je fasse souffrir, pendant la passion, d’une
façon bien plus atroce, pour ce prêtre.
C’est ce que j’ai fait.
Comme mon Père spirituel m’y a autorisée, je suis de
nouveau tombée au Jardin des Oliviers, afin d’y souffrir bien atrocement. Je
sentais avec quelle gravité ce prêtre offensait Notre-Seigneur. Je sentais
pareillement l’indignation de Notre-Seigneur contre lui. Jésus me disait :
— L’enfer ! L’enfer !...
Et j’avais l’impression que ce prêtre allait vraiment y
tomber. Alors, moi, je disais :
— Non, non, mon Jésus ! Pas en enfer ! Il pèche, mais je
serai sa victime; non pas uniquement lorsqu’il commet le péché, mais pendant
tout le temps que vous voudrez.
Notre-Seigneur m’a dit alors :
— Il trompe les gens. Tous pensent qu’il est bon, mais
il m’offense beaucoup.
Et moi, je disais :
— Il trompe les gens, mais vous, il ne vous trompe pas ;
oubliez, mon Jésus; ayez compassion de lui.
Jésus m’a dit son nom : c’est le Père X...
Pendant presque tout le temps qu’a duré la Passion, j’ai
ressenti son péché. Et Jésus était toujours très en colère contre lui, et me
disait :
— En enfer ! En enfer !...
— Pas en enfer, mon Jésus ; je souffre pour lui. Immolé
mon corps, mais épargnez-le des peines éternelles.
Et pendant toute la Passion je sentais la blessure qu’il
produisait dans Cœur de Jésus. Quelle blessure si douloureuse ! C’était comme
des épées qui, continuellement, blessaient mon pauvre cœur.
Mon corps a été horriblement mal traité, mais le prêtre
n’est pas tombé en enfer; bénies souffrances ! »
Le Directeur spirituel, lut la lettre et y trouva le nom du
prêtre en question. Peut-être un peu sceptique il décida de mieux s’informer.
« Pour m’en assurer — écrit le Père Mariano Pinho —
j’ai écrit à une Religieuse de Lisbonne, Supérieure, ma dirigée, en qui j’avais
la plus grande confiance, et je lui ai demandé de s’informer discrètement auprès
de son Éminence, si celui-ci était préoccupé au sujet de l’un des prêtres de son
diocèse... C’est ce qu’elle a fait et, elle reçut une réponse affirmative, et
qu’il s’agissait du Père X..., indiqué par Alexandrina ».
Le moment de la séparation de son Directeur spirituel arrive.
Le Seigneur, dans sa Bonté infinie, a voulut préparer son épouse à cette
séparation :
« Jésus est venu – raconte Alexandrina dans une lettre
adressée à son Directeur spirituel, le 3 janvier 1942 ―
et a allumé dans mon cœur un peu de son divin feu ; il m’a donné quelques
rayons de sa lumière :
— Ma fille, l’heure de me donner la plus grande preuve
d’amour et d’héroïsme est arrivée : cheminer sans lumière dans un complet
abandon... »
Le 9 janvier 1942, elle lui écrit de nouveau et lui fait part
de l’état de son âme, sans se douter, le moins du monde, que les choses allaient
se précipiter :
« Mon âme semble se déchirer en morceaux. Ce n fut que le
7 janvier, jour où vous êtes venu me voir, Père, que ma souffrance, aussi bien
physique que morale, a connu une pause. Il est vrai que Jésus me prive
actuellement de tout, mais Il m’a donné encore quelques heures de soulagement et
quelques moments de douceur et de suavité pour l’âme. Je m’en souviens avec
peine et il me semble mentir, car maintenant je n’ai pas de lumière... »
La visite dont il est fait mention ici, fut la dernière
visite du Père Mariano Pinho à Alexandrina. La lettre par laquelle le provincial
des jésuites ordonne au Père Mariano Pinho de cesser toute relation avec la
servante de Dieu est datée du 6 janvier 1942.
Toutefois, il lui permet, encore pour quelque temps, de
recevoir les lettres d’Alexandrina, mais à condition que celles-ci transitent
par lui.
Par délicatesse, le Père Pinho, n’a pas voulu en informer
Alexandrina immédiatement. Il chargea Deolinda de le faire auprès de sa sœur,
petit à petit.
Quelques jours se passent ; le Directeur ne vient plus, alors
Alexandrina se pose des questions et questionne même son père spirituel, dans
une lettre qu’elle lui envoie le 26 janvier 1942 :
« Vous a-t-on interdit de venir ici ? On ne cesse pas de
vous faire souffrir ? On essaie de vous humilier et de vous déprimer davantage ?
Jésus soit avec nous ! Que la Maman du ciel nous vienne en aide et qu’elle nous
donne la force pour supporter autant de souffrance. Que tout ceci soit pour la
plus grande gloire de Jésus et un avantage pour les âmes... »
Le 30 janvier 1942, elle revient encore sur le sujet :
« Je sens que vous souffrez presque tout seul... Mon Dieu,
j’ai érigé un calvaire pour mon Père spirituel qui a tant fait pour amener mon
âme à Jésus.
J’en ai élevé un autre pour le docteur, qui se sacrifie
tant pour mon corps. O Jésus, ô Maman du ciel, appelez-moi à vous afin que je ne
sois davantage la cause de tant d’humiliations et de souffrances !... Je
préférerais souffrir toute seule. Si seulement j’avais pu souffrir cette marée
de souffrances et que personne n’en ait eu connaissance, excepté Jésus ! Je
voudrais disparaître du monde, de sous le regard de tous et rester dans
l’oubli... »
La perte de son Père spirituel est pour Alexandrina un vrai
martyre. Son cœur se trouve blessé et même découragé. Cette situation la fait
envisager tant de scénarios, inspirés par sa douleur habituelle, augmentée par
celle de perdre l’appui dont elle avait tant besoin et qui lui était si
nécessaire. Mais les voies du Seigneur restent impénétrables...
La certitude de perdre son Père spirituel est maintenant
évidente. Son chagrin est alors à la mesure de son admiration envers l’homme de
Dieu, mais son amour et son acceptation de la Volonté divine est encore plus
grande, il prend rapidement le dessus. Lisons son Journal du 19 février 1942 :
« Les hommes essaient d’éloigner et d’arracher d’auprès de
moi pour toujours celui qui m’aidait et pouvait me donner réconfort. Ils m’ont
enlevé mon Père spirituel, m’interdisant enfin toute correspondance.
Consentez-moi au moins, mon Jésus, de m’épancher avec Vous. Je me trouve seule
au milieu de la tempête qui ne se calme pas. Je Vous ouvre mon cœur. Il n’y a
que Vous qui puissiez lire tout ce qui s’y trouve écrit avec douleur et sang.
Vous seul pouvez évaluer mon sacrifice. Le monde l’ignore; les hommes ne le
comprennent pas.
Laissez-moi Vous dire ce que Vous avez dit à votre Père :
“Pardonnez-leur car ils ne savent ce qu’ils font”. Ils sont aveugles, il leur
manque votre divine lumière. Éclairez-les ; donnez votre amour à tous.
O Jésus, mes pressentiments se sont réalisés !
Pourront-ils m’interdire de Vous recevoir
sacramentellement ? Pauvre de moi ! Ils me tueraient si Vous, avec votre pouvoir
divin ne me conserviez pas la vie. Qu’ils disent et qu’ils fassent ce qu’ils
veulent. Ils ne réussiront jamais à me priver de l’union intime avec Vous.
Me voler Jésus eucharistique ! Cela ne m’étonnerait pas
qu’ils le fassent. Mas arracher de mon cœur le Trésor si riche que j’adore et
que j’aime plus que toutes choses, « le Père, le Fils et le Saint-Esprit », les
hommes ne le pourront jamais. Pussent-ils me faire vivre sans cœur et sans âme.
Impossible !
Que vienne le monde entier avec toute sa force ; que tout
s’oppose à moi : seul le péché pourrait me séparer de cette grandeur infinie, de
cet amour sans fin.
Mais j’ai pleinement confiance en Vous, mon Jésus.
J’attends tout de Vous, même si les sentiments de mon âme arrivent presque à me
persuader que je me trompe moi-même.
Quel mal ai-je fait ? Quel crime ai-je commis ?... Mon
Jésus, si ce n’était pas par amour pour Vous, si ce n’était le désir de Vous
ramener des âmes, je me refuserais à tout... »
Le départ du Père Pinho est maintenant consumé. Non seulement
il ne reviendra plus la voir, mais il sera même obligé de partir pour le
Brésil : ce fut l’exil.
Une fois encore Alexandrina lui écrit : elle se plaint de la
méchanceté des hommes, de leur incompréhension, mais elle accepte tout pour
l’amour de Dieu ;
Lisons sa lettre du 23 février 1942 :
« Quelques heures après ma “Passion” mon médecin m’a dit
que ces derniers jours l’état de mon cœur avait davantage empiré. Il m’inculqua
courage et fidélité. Je me suis épanchée à lui parce que je sens que le Seigneur
se sert de lui pour m’aider à poursuivre dans les chemins épineux et difficiles.
Je me suis sentie bien plus forte.
Vers les six heures du, soir on m’apporta le courrier et
immédiatement j’ai découvert votre lettre. Aussitôt que je l’ai eue en main, les
bras me sont tombés et mon sang s’est glacé dans mes veines. Je n’avais pas la
force de l’ouvrir. Je me suis dite à moi-même : “Quoi qu’il arrive, en avant !
Mon Jésus, j’accepte tout pour amour pour Vous et pour Vous donner des âmes”.
J’ai commencé à la lire, mais les larmes m’en
empêchaient : c’étaient des larmes de parfaite résignation. On dirait que l’on
me perçait le cœur avec une lance. Quelques jours se sont déjà écoulés et je me
sens pourtant encore dans le même état. C’est comme si je n’avais plus de cœur
et que la mort me guette. Dans mon fond intérieur, je disais : “Pardon pour tous
ceux qui sont la cause de cette mort.
Il est vrai que Deolinda, plus d’une fois, goutte à
goutte, m’avait administré le “poison” que la lettre contenait, mais maintenant
c’est arrivé au comble : la dernière goutte de ce “fiel” si désagréable.
Mes larmes et ma prière à Jésus pour obtenir le pardon
pour tous : voilà ma vengeance.
Dans cette triste lettre que je n’oublierai jamais, vous
me dites que cela est conforme à ce que vous supérieurs ont décidé ; que vous
devez obéir parce que le Seigneur le veut.
Je suis d’accord. Obéissance, sainte obéissance, combien
je t’aime ! Vous ne voulez pas désobéir et moi-même, je veux que vous obéissiez.
Plutôt toutes les souffrances que la moindre offense envers Jésus. Celui qui
obéi fait sa sainte Volonté, mais malheureux ceux qui ne commandent pas selon
ses divins désirs! C’est pourtant qui arrive maintenant. Les hommes s’opposent à
la volonté de Jésus. C’est ce que ressent mon âme remplie de douleur. Mon cœur
vole comme un oiseau qui ne sait pas ou se poser; je me trouve dans le supplice
le plus douloureux.
Je me suis confessée au Père Alberto Gomes
dans lequel j’ai entière confiance et en qui je vois toute la sainteté. Je sens
qu’il me comprend bien, mais ce n’est pas lui cette lumière que Jésus m’a
choisie, et non plus la source qui peut me rassasier. C’est pour cela que je
dis : “Malheureux ceux qui ne commandent pas selon la volonté de Jésus !”
Je continuerai de vous appeler mon Père spirituel sur la
terre comme au ciel. Quoi que les hommes disent ou fassent, cela ne sert qu’à
m’écraser de plus en plus et à m’ôter la vie...
Ne vous souvenez-vous pas qu’il y a quelque temps j’avais
eu le pressentiment de ce qui arrive maintenant ? On vous interdit de venir
ici ! De m’écrire ! Volonté divine de mon Dieu, je t’aime plus que tout... »
Mais, les Jésuites, voulant aller au bout de leur enquête sur
le Père Mariano Pinho, demandèrent, avec insistance, à Alexandrina, de leur
communiquer les lettres que lui avait écrites son Directeur spirituel. La
Bienheureuse, même si un peu à contrecœur, les rendit, espérant, bien entendu,
les récupérer par la suite.
Voici ce qu’elle a noté dans son journal du 27 février 1942 :
« O mon Jésus, donnez-moi votre divine force ! Je veux
cacher ma douleur. Toute seule je n’y réussis pas. Que mon cœur pleure nuit et
jour, si vous le voulez, mais que mon regard soit joyeux et mes lèvres
souriantes. Que votre saint amour et les âmes soient le motif de ma souffrance !
Je suis comme la colombe qui, dans son envol, secoue les
ailes nuit et jour, et ne trouve pas où se poser si vous ne venez pas à son
secours. Les forces lui manquent, elle est incapable de poursuivre son vol:
c’est moi qui navigue dans les airs, c’est moi qui suis tout près d’être
anéantie par la tempête ; je suis la plus indigne de vos petites filles, sans
lumière et sans soutien.
O Jésus, je ne savais pas que j’avais encore tant à vous
donner ! Combien grande est mon ignorance ! Je pensais vous avoir tout donné. Je
me trompais : vous êtes venu faire la dernière moisson. Prenez tout, hâtez-vous
de tout prendre : moissonnez pour vous. Le vingt, je vous ai donné mon Père
spirituel jusqu’au jour on l’on voudra bien me le rendre ; je vous ai donné ses
lettres qui m’ont servi de lumière et acheminée ers Vous.
Vous avez bien vu, ô Jésus, combien grand a été le
sacrifice ! Non point pour l’attachement à celles-ci, mais parce qu’elles m’ont
été demandées lors d’une journée remplie de tant de souffrances. Quand je les ai
eues en main pour les ficeler ensemble, vous, ô mon Seigneur, vous avez entendu
que je me répétais : “Jésus me les a données, Jésus me les reprend.”
Et même en les rendant, je n’ai fait que répéter : “Jésus
ne mérite-t-il pas encore davantage ?... Tout cela est encore bien peu pour Lui
sauver des âmes...” Ce qui me peinait c’était de devoir servir d’instrument
pour faire souffrir les autres !... »
Inconsolable depuis le départ du Père Pinho ―
qui est encore au Portugal et, de surcroît à Macieira de Cambra qui est
une petite ville assez proche de Balasar où il y fut envoyé par ses supérieurs
et privé d’une partie de son ministère sacerdotal – elle s’en plaint à Jésus :
« La privation de mon directeur spirituel et tous les
sacrifices qui sont venus par la suite m’ont portée à la plus grande souffrance.
Et maintenant, mon Jésus, le fait de le savoir aussi proche pendant que moi,
comme un oiseau pendant les jours d’hiver, je reste là, affamée de ne pas
pouvoir lui parler, de ne pas pouvoir recevoir de lui aliment et vie pour mon
âme... il y a de quoi mourir de douleur ! »
Mais, quelques jours plus tard, le 13 mars 1942, elle note,
soulagée, dans son Journal spirituel la restitution des lettres :
« Mon Jésus, les lettres de mon directeur m’ont été
restituées. Pourquoi tout cela ? Le sacrifice a été fait. Ce fut comme si on les
plaçait sur un cadavre qui ne ressent plus rien. Mais l’obéissance le veut et,
moi je l’accepte... »
Le 31 octobre 1942 est une date très importante dans la vie
de la bienheureuse Alexandrina. En effet, ce jour-là, enfin, le Pape Pie XII
consacra le monde au Cœur Immaculé de Marie, dont Alexandrina avait été
l’instrument docile et efficace. Le Père Mariano Pinho ― encore
au Portugal à cette date ― lui envoya, un télégramme pour lui annoncer la
joyeuse nouvelle.
Ce même jour, elle eut la vision de la Vierge de Fatima.
Lisons le court récit qu’elle a laissé sur son Journal :
« Le 13 décembre, de bon matin — ce ne fut pas un rêve,
non plus une illusion — j’ai vu la Notre-Dame de Fatima élevée — je ne sais pas
sur quoi elle posait — à une grande hauteur. Autours d’Elle, en bas, une grande
foule qu’elle regardait avec tendresse. Je me suis trouvée hors de moi-même : il
me semblait avoir été transportée dans une autre région ».
On peut constater ici deux états mystiques, très courantes
chez les âmes que Dieu se choisit : la vision et la bilocation. Alexandrina a vu
et, comme elle le dit elle-même, « ce ne fut pas un rêve, non plus une
illusion », mais une réalité, complétée par le déplacement à l’endroit même
où l’acte était fêtée, c’est-à-dire à Fatima : « il me semblait avoir été
transportée dans une autre région », région qu’elle ne connaissait pas, car
elle n’était jamais allée à Fatima, même si, bien des années auparavant, elle en
a eu le désir, au début de sa maladie.
Alexandrina avait bien du mal, en tout cas, à oublier son
Père spirituel, à accepter son départ pour le moins assez bizarre et impromptu.
Elle ne désarme pas et, prenant son courage à deux mains, elle va même écrire au
Provincial des Jésuites, le Révérend Père Abel Guerra, grand érudit et excellent
écrivain :
« Révérend Père Provincial,
Cette nuit, vers deux heures et demie, j’ai demandé à ma
sœur de bouger mon corps couvert de sueur. La vie semblait me quitter, les
forces me manquaient. Mon âme, toujours désireuse de s’envoler vers Dieu, était
dans une douloureuse agonie. J’avais besoin de soutien : elle voulait de la
lumière, cette lumière que peu de prêtres savent donner aux âmes. Toute seule
avec Jésus, intérieurement, je Lui disais :
— Donnez-moi le Père spirituel, donnez-le-moi de nouveau,
bien que vous l’ayez éloigné de moi, grâce à cette union qui n’est pas toute à
fait, ou presque, comprise. Mais maintenant, mon Jésus, celle-ci ne suffit pas,
je ne peux pas vivre ainsi.
La paix m’a envahie et l’idée de vous écrire m’est venue,
pour vous demander, par l’amour de Jésus et des douleurs de Marie, de permettre
au Père Mariano Pinho de venir et de reprendre la direction de mon âme, pendant
le peu de jours qui me restent à vivre.
Très souvent j’ai eu l’idée de m’adresser à vous, mais
aussitôt mon idée était étouffée par la crainte et par quelque chose d’autre qui
ne me permettait pas de l’écrire. Mais, cette fois-ci elle a été durable et
menée à bien.
Ce n’est pas moi qui l’ai choisi [comme directeur
spirituel]. Il y a dix ans, j’étais seule, sans guide, et très éprouvée entre
quatre murs depuis huit ans. Le Seigneur a eu pitié de moi, il me l’a choisi et
me l’envoya. Ce fut alors, qu’en suivant ses saints conseils, que j’ai connu
davantage le Seigneur. Depuis treize mois déjà il est interdit de venir ici.
Jésus seul sait combien cela m’a coûté, aussi j’ai tout souffert par amour pour
Lui. Maintenant, toutefois, j’ai besoin de quelqu’un qui me soutienne ; je ne
peux plus vivre dans un martyr pareil. Si vous pouviez voir, rien que quelques
instants ce que je souffre dans mon corps et dans mon âme, et combien j’ai
souffert pendant cette période, je suis sûre que vous auriez pitié de moi. Ma
fièvre est montée à 40° et plus ; des douleurs horribles agitent et font
trembler mon corps, comme une tempête qui voudrait tout détruire.
Je me suis vengée et, ma vengeance continuera au ciel, à
l’égard de ceux qui ont été la cause de ma souffrance. Savez-vous quelle sera ma
vengeance ? Je prierai et je demanderai, pour eux, le pardon. J’implorerai pour
eux la lumière afin qu’ils vivent de la vie intérieure de Jésus et ne soient
plus des obstacles pour d’autres âmes éprises de Dieu et ayant besoin des
lumières et du soutien de saints directeurs.
Êtes-vous fâché contre moi ? Ne le soyez pas ! Je sais que
je suis méchante, et la créature la plus misérable, la fille la plus indigne de
Jésus, mais pour cette raison même digne de compassion. Moi, sans la grâce de
Dieu, je me crois capable de faire et d’être tout ce de quoi on m’accuse auprès
de vous ; toutefois, avec la grâce et toute la force du Seigneur, mon innocence
sera reconnue.
Permettez-moi, Révérend Père Provincial, de vous demander,
une fois encore, pour l’amour de ce qui vous est le plus cher au ciel et sur la
terre : permettez à mon Père spirituel de venir m’assister pendant mes derniers
jours ; qu’il apporte les dernières lumières, les derniers conseils à cette
pauvre qui espère aller bientôt au ciel.
Je fais confiance à Jésus et à la Maman du ciel pour que
je ne sois plus un motif de honte pour votre Ordre.
Adieu, Révérend Père. Veuillez me pardonner. Je n’ai rien
fait dans l’idée de vous offenser. Je ne veux offenser personne et encore moins
les disciples de Jésus. Ayez l'obligeance de me pardonner. A nous revoir au
ciel.
Et, en guise de conclusion, voici comment le Père Fernando
Leite ― jésuite bien connu par sa dévotion mariale et par
ses livres où coule la flamme de l’Esprit Saint ― résume
la situation et le dénouement de cette triste affaire :
« Suite à une série de calomnies et d’informations
tendancieuses, le 1 octobre 1942, le Père Mariano Pinho reçut l’ordre formelle
de son Supérieur de cesser toute relation avec Alexandrina, "directe ou
indirecte, personnelle ou écrite".
En guise de punition il fut renvoyé dans un Séminaire mineur
de la Compagnie de Jésus. Son supérieur, écrivant au Saint-Siège, s’exprima de
la sorte, à son sujet : "Il souffrit, comme les saints, les pires calomnies et
tribulations, sans une lamentation et sans briser sa joie spirituelle". Le
Cardinal Dom Manuel Gonçalves Cerejeira à son tour témoigna, en disant de lui :
"C’était un saint ! "
Afin de pouvoir exercer dorénavant son apostolat, il retourna
au Brésil, où il poursuivit son activité spirituelle.
Il décéda à Recife le 11 juillet 1963 ».
Alphonse Rocha
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